BÉRENGER, (à Jean). – Vous avez de la force.
JEAN. – Oui, j'ai de la force, j'ai de la force pour plusieurs raisons. D'abord, j'ai de la force parce que j'ai de la force, ensuite j'ai de la force parce que j'ai de la force morale. J'ai aussi de la force parce que je ne suis pas alcoolisé. Je ne veux pas vous vexer, mon cher ami, mais je dois vous dire que c'est l'alcool qui pèse en réalité.
LE LOGICIEN, (au Vieux Monsieur). – Voici donc un syllogisme1 exemplaire. Le chat a quatre pattes. Isidore et Fricot ont chacun quatre pattes. Donc Isidore et Fricot sont chats.
LE VIEUX MONSIEUR, (au Logicien). – Mon chien aussi a quatre pattes.
LE LOGICIEN, (au Vieux Monsieur). – Alors, c'est un chat.
BÉRENGER, (à Jean). – Moi, j'ai à peine la force de vivre. Je n'en ai plus envie peut-être.
LE VIEUX MONSIEUR, (au Logicien après avoir longuement réfléchi).
– Donc, logiquement, mon chien serait un chat.
LE LOGICIEN, (au Vieux Monsieur). – Logiquement, oui. Mais le contraire est aussi vrai.
BÉRENGER, (à Jean). – La solitude me pèse. La société aussi.
JEAN, (à Bérenger). – Vous vous contredisez. Est-ce la solitude qui pèse, ou est-ce la multitude ? Vous vous prenez pour un penseur et vous n'avez aucune logique.
LE VIEUX MONSIEUR, (au Logicien). – C'est très beau, la logique.
LE LOGICIEN, (au Vieux Monsieur). – À condition de ne pas en abuser.
BÉRENGER, (à Jean). – C'est une chose anormale de vivre.
JEAN. – Au contraire. Rien de plus naturel. La preuve : tout le monde vit.
BÉRENGER. – Les morts sont plus nombreux que les vivants. Leur nombre augmente. Les vivants sont rares.
JEAN. – Les morts, ça n'existe pas, c'est le cas de le dire !... Ah ! ah !... (Gros rire.) Ceux-là aussi vous pèsent ? Comment peuvent peser des choses qui n'existent pas ?
BÉRENGER. – Je me demande moi-même si j'existe !
JEAN, (à Bérenger). – Vous n'existez pas, mon cher, parce que vous ne pensez pas ! Pensez, et vous serez.
LE LOGICIEN, (au Vieux Monsieur). – Autre syllogisme : tous les chats sont mortels. Socrate2 est mortel. Donc Socrate est un chat.
LE VIEUX MONSIEUR. – Et il a quatre pattes. C'est vrai, j'ai un chat qui s'appelle Socrate.
Raisonnement logique en trois temps.
siècle avant J.-C.