À l'âge où l'on sait enfin ce qui est vraiment précieux, je découvre que l'amour fraternel m'a toujours accompagnée comme un bon chien, le nez dans mes talons. Nous n'avons jamais eu à nous plaire, Flora et moi, à nous ménager, à nous justifier, à jouer cette fatigante comédie du Monsieur et de la Dame. L'une en face de l'autre nous n'avons eu qu'à nous laisser vivre. Tout amour est une négociation sinon un combat ; toute amitié a des exigences, des hauts et des bas ; l'amour fraternel est une mer étale1 et je n'imagine pas de tempête qui puisse soulever cette mer-là.
Depuis toujours nous nous aimons, respectivement et mutuellement ; nous nous préférons à toutes les autres femmes et nous avons le courage de nos opinions.
Mon amour pour Flora a été le grand sentiment de mon enfance. [...]
Et puis tout à coup, je me suis sentie toute seule : c'était l'adolescence et elle a duré très longtemps, car j'avais peur d'en sortir. Je tenais toute la place en moi-même et je ne pouvais y recevoir personne. De plus, j'étais nourrie, logée, blanchie, « pensée » par des parents qui prenaient leur rôle très au sérieux et je n'envisageais pas encore de posséder une âme à moi.
À cause de la guerre peut-être – mais je crois qu'elle a bon dos – je me considérais comme un bien inestimable et l'idée ne m'a jamais effleurée de le risquer. Ma vie c'était de penser à la vie. J'étais pressée et j'avais peur...
Donc, il y avait une fois, au 44 de la rue Vaneau, une brune et une blonde. C'était en mai 40, une époque où l'on n'avait pas le droit d'être inconscient et pourtant... La brune c'était moi.
Moment de la marée ou la mer ne monte, ni ne descend plus. Au sens figuré, cela évoque la stabilité.