Le 16 mars,
J'ai beaucoup parlé de l'exil, j'ai bavardé, fouillé ma mémoire, perdu et retrouvé des signes. J'en ai découvert que je n'aurais pas soupçonnés, et de lettre en lettre je me sens saisie par l'exil, je le vois partout, il me devient insupportable. J'ai l'impression que lorsque je ne me pensais pas dans l'exil, j'étais protégée. M'exposer à moi-même dans cette perte, ce deuil du pays natal, d'une terre évidente et simple dont j'aurais hérité et que j'aurais juste à transmettre... c'est m'exposer du même coup sans défense à toute malveillance. Depuis quelques années, ce qui pouvait constituer, hors institution, hors convention, hors conformisme, notre terre, le lieu où nous avons pu nous rencontrer, nous retrouver, cette terre-là nous manque. Terre symbolique des femmes en rupture, terre nourricière d'élans, de désirs, de projets. Et voici que s'impose un nouveau deuil... Bien sûr les femmes existent, elles le prouvent chaque jour et sur tous les fronts, mais il me semble que nous, nous avons perdu notre terre et un peu de ces forces de subversion qui nous faisaient bouger et qui ont à un moment ébranlé le terrain social où nous avions porté nos révoltes. Retour au privé contre le
dogmatisme1. Retour à soi contre la pression du collectif. Retour à l'isolement aussi. En quel lieu mythique s'exprimer ? Je me sens privée de la complicité, de la solidarité, de toute la force qui se transmet dans l'appartenance à un groupe, à un réseau, à un courant (je ne parle pas de parti politique ; ni toi ni moi nous n'avons jamais eu de carte d'inscription à un parti)... Pour moi, je n'ai pas de lieu, de terre amicale bienveillante et je ne me sens de place nulle part. Ce que nous avons cherché plusieurs années durant à travers des projets prétextes, nous ne l'avons pas trouvé. Nous étions dans la nostalgie et la nostalgie fait mourir à petits coups sournois.