Je reconnais ma tante, Ameh Aziz, elle pleure à chaudes larmes. Son corps m'enveloppe comme du coton chaud.
Je vois aussi dans la foule le visage de mon oncle Saman, celui qui a fait huit ans de prison1, il s'approche de moi et je saute dans ses bras. Il ne dit rien, il me prend la main, il veut me montrer quelque chose, la foule s'écarte un peu et je t'aperçois.
Tu es là.
Tu es sagement assise avec tes béquilles posées sur la chaise à côté de toi. Tu as noué sur ta jolie tête un foulard vert clair et tu as un long manteau bleu marine. Tu me vois. Nos yeux se rencontrent enfin après tout ce temps.
Tu me souris, tes yeux sont mouillés. Les miens se retiennent de pleurer.
Tu veux te lever, mon cousin aîné court pour t'aider. Tu l'écartes avec ta béquille et tu lui dis d'un ton ferme : « Pousse-toi, je n'ai besoin de personne, ça fait dix-sept ans que je n'ai pas vu ma première petite-fille, elle a fait le voyage pour revenir ici, et ce soir je vais me lever pour elle, je vais me lever toute seule sans l'aide de personne, sans même mes béquilles. » Je ne bouge pas, je te regarde te lever, comme tu es fière et belle. Tu as du mal mais tu le fais lentement, avec beaucoup d'efforts. Tes jambes tremblent et ta main tente de s'agripper à quelque chose dans le vide. Mais tu le fais, tu es obstinée comme ta petite-fille. Te voilà debout devant moi. Statue inébranlable, à cet instant personne ne peut te renverser tant ta force est grande. Je m'approche de toi à petits pas, j'ai peur de te briser, de rompre le fragile équilibre sur lequel tu tiens. J'ai peur aussi que tu disparaisses d'un coup de baguette magique comme dans le passé. Enfin, je t'attrape dans mes bras. Je plonge ma tête dans ton cou et je respire mon enfance. Nous sommes toutes les deux debout, et c'est toi qui me soutiens.
L'oncle Saman a fait de la prison comme opposant à la dictature iranienne.